Il y avait de la tension dans l'air depuis quelques temps, mais la nouvelle tombe comme un couperet pour les pharmaciens : " Nous sommes au regret de vous annoncer que nous sommes contraints d'annuler le séminaire du Bon Air 2024 qui devait se tenir les 14 septembre à Edegem et 5 octobre à Genval ", entame le communiqué. Et l'organisateur de pointer du doigt sa coupable : l'Administration fédérale des médicaments et produits de santé (AFMPS). " Pour la première fois depuis que le séminaire du Bon Air a été créé il y a plus de vingt ans, l'AFMPS nous a empêché de mener son organisation à bonne fin, malgré nos efforts. "

Que s'est-il passé ? Pour le comprendre, il faut remonter un peu dans le temps... en 1964. Bien avant qu'on ne parle du séminaire du Bon Air ou de PharmaFiesta (autre événement pris dans la même tourmente), le législateur prend une loi pour encadrer la publicité faite autour des médicaments à usage humain. Un des grands principes établis par cette réglementation prévoit qu'il est interdit de " promettre, d'offrir ou d'octroyer, directement ou indirectement, des primes, des avantages pécuniaires ou des avantages en nature " aux professionnels de la santé, dont les pharmaciens, dans le cadre de la fourniture de médicaments.

Pas d'avantages en nature, sauf...

Or, lorsqu'un organisateur de séminaire - tout scientifique qu'il soit - invite gracieusement les pharmaciens à son événement (hospitalité comprise), c'est généralement grâce au sponsoring de l'industrie du médicament. Cela revient à offrir, indirectement, un avantage en nature à ces professionnels de la santé. Le législateur de 1964 était-il aigri au point de priver les pharmaciens de se retrouver autour de congrès scientifiques ? Une telle position aurait été contraire à une autre de ses règles : l'obligation de formation des pharmaciens.

C'est pour cette raison qu'il a prévu une exception, de taille, au principe général. La même loi de 64 précise, quelques lignes plus loin, que l'interdiction ne s'applique pas " à l'invitation et à la prise en charge des frais de participation, y compris l'hospitalité [des pharmaciens], pour une manifestation scientifique ", pourvu que cette manifestation réponde à quelques conditions. Sauvés ! Les organisateurs peuvent inviter les pharmaciens sans frais, les pharmaciens peuvent assister gratuitement à des conférences scientifiques, et l'industrie pharma peut faire la publicité de ses produits auprès des pharmaciens.

Des conditions strictement appréciées

Mais raisonner de la sorte, sans tenir compte de ces quelques conditions, serait aller trop vite en besogne. Et c'est probablement ce qu'ont fait dans un accord implicite, pendant longtemps, les différents acteurs concernés. Pour pouvoir s'appliquer, l'exception implique, entre autres, que la manifestation ait un caractère exclusivement scientifique, cadrant notamment avec les sciences médicales et pharmaceutiques. Les pharmaciens doivent d'ailleurs veiller à ne pas accepter d'avantages en nature proscrits par la loi, car une co-responsabilité pénale pèse sur eux. Tous les détails des règles à respecter par les pharmaciens et des sanctions qui pèsent sur eux à retrouver dans cet article.

Début août, l'AFMPS, chargée de contrôler la bonne application de la loi encadrant la publicité autour des médicaments, a brusquement durci le ton en annonçant renforcer ses contrôles autour des événements adressés aux pharmaciens. Dans son viseur, deux des trois grands événements belges pour pharmaciens : PharmaFiesta et le séminaire du Bon Air, entre lesquels une discorde avait attiré l'attention de l'Administration. Le premier est, des mots de son organisateur lui-même, " une soirée pour pharmaciens, agrémentée de conférences scientifiques et d'un salon ". Il a fait l'objet d'une plainte anonyme, le plaigant estimant qu'il y avait un trop grand rapprochement entre le salon organisé par l'AUP et la soirée. Le Bon Air, lui, prend le point de vue inverse et organise une journée de conférences accréditées agrémentée d'une partie festive et d'un salon.

Des événements semi-scientifiques, semi-promotionnels

Aux deux organisateurs, l'AFMPS fait grief d'inviter les pharmaciens, aux frais de l'industrie du médicament, à des événements " mixtes ", et non pas exclusivement scientifique. " L'AFMPS ne peut pas confirmer le caractère exclusivement scientifique du séminaire du Bon Air dans sa dernière version proposée le 24 juillet 2024 ", répondait l'Administration à son organisateur. " Le projet de manifestation présente un caractère mixte, à savoir scientifique et publicitaire. La durée de l'accès aux stands publicitaires, à savoir cinq heures, malgré l'obligation de participer à trois heures de la manifestation scientifique en après-midi, implique que ces stands ne sont pas accessoires à la manifestation scientifique, mais constituent bien un objectif de promotion en tant que tel, à côté de l'objectif scientifique. Cette manifestation de type mixte peut être organisée mais ne peut alors pas bénéficier du soutien financier de l'industrie du médicament ni du dispositif médical. L'AFMPS maintient sa position que, pour constituer une manifestation à caractère exclusivement scientifique, le séminaire du Bon Air devrait rendre les stands uniquement accessibles aux participants de 15h30 à 16h00 et de 17h00 à 17h30, c'est-à-dire pendant les pauses prévues dans le programme. "

Le caractère semi-publicitaire de l'événement le fait donc sortir de la cloche protectrice de l'exception légale, et le priverait du soutien financier de l'industrie pharma. À trois semaines de la tenue du séminaire, Daniel De Ron, son organisateur, estime que cette position de l'AFMPS ne lui permet pas d'en finaliser l'organisation. " Nous sommes donc contraints d'annuler ", explique-t-il. " Nous estimons que suivre ces nouvelles 'directives' reviendrait en réalité à exclure tout partenariat avec les industries du médicament et des dispositifs médicaux, dont le rôle de partenaire naturel du pharmacien d'officine est crucial. " Laurent Staquet, organisateur de la PharmaFiesta, a récemment décidé, à contre-coeur, de prendre la même décision en choisissant de ne pas organiser son événement l'an prochain, "bien que cette édition 2024 n'a posé aucun problème, car [il] avait éliminé les partenaires qui pouvaient poser problème aux yeux de l'AFMPS". Sans le sponsoring de l'industrie du médicament, il craignait fort que les pharmaciens ne souhaitent pas payer leur entrée de leur poche, et ne voulait pas se résoudre à organiser un " salon du complément alimentaire ", seul partenaire encore accessible.

Inflexible

Le séminaire du Bon Air avait pourtant fait un pas en direction de l'AFMPS, en supprimant les workshops, jugés trop publicitaires, en étendant la durée du programme scientifique à huit heures de formation scientifique sur la journée, en supprimant les conférences abordant des sujets liés à la profession mais non liés aux sciences pharmaceutiques, tels que la digitalisation de l'officine, le droit et la déontologie, la communication, l'environnement... Mais son inflexibilité sur l'accès aux stands de promotion pharmaceutique semble avoir inspiré une certaine fermeté du côté adverse.

Une fermeté qui reste d'ailleurs en travers de la gorge de Daniel De Ron, qui dénonce une attitude plus conciliante de l'AFMPS à l'égard de congrès médicaux à destination d'autres professionnels de la santé, tels que les médecins. Il est vrai que les médecins peuvent également récolter des points d'accréditation en éthique et en économie. " Ces congrès incluent aussi des stands, dont certains tenus par l'industrie du médicament, où il n'est pas question de contrôles de durée, ce qui permet un large soutien de l'industrie, sans pour autant que les autorités remettent en question le caractère exclusivement scientifique de ces manifestations. "

Une action commune se profile

Sur les réseaux, on lit la déception d'apprendre l'annulation du séminaire. On trouve plusieurs marques de soutien de la part des pharmaciens. " Je trouve que cette fois ci ça va trop loin ", écrit l'un d'entre eux. " S'il y a bien un événement qui était hyper bien encadré avec des formations, un suivi de l'identité des participants, etc, c'est le séminaire du Bon Air. Daniel De Ron avait des règles qu'on trouvait parfois strictes, mais c'était pour éviter d'en arriver là. Je trouve ça scandaleux. " Une collègue abonde dans son sens : " Que restera-t-il à présent aux pharmaciens ? Le séminaire du Bon Air était l'événement de l'année, la possibilité pour le pharmacien d'échanger, rencontrer, discuter de la profession avec d'autres confrères et consoeurs, les labos pharmaceutiques. Le pharmacien d'aujourd'hui va se retrouver de plus en plus esseulé dans un climat de tension dépouillé de cette communication humaine. C'est bien triste... " Une action des pharmaciens, possiblement sous la forme d'une pétition, pourrait bientôt être à l'ordre du jour. Affaire à suivre...

Il y avait de la tension dans l'air depuis quelques temps, mais la nouvelle tombe comme un couperet pour les pharmaciens : " Nous sommes au regret de vous annoncer que nous sommes contraints d'annuler le séminaire du Bon Air 2024 qui devait se tenir les 14 septembre à Edegem et 5 octobre à Genval ", entame le communiqué. Et l'organisateur de pointer du doigt sa coupable : l'Administration fédérale des médicaments et produits de santé (AFMPS). " Pour la première fois depuis que le séminaire du Bon Air a été créé il y a plus de vingt ans, l'AFMPS nous a empêché de mener son organisation à bonne fin, malgré nos efforts. "Que s'est-il passé ? Pour le comprendre, il faut remonter un peu dans le temps... en 1964. Bien avant qu'on ne parle du séminaire du Bon Air ou de PharmaFiesta (autre événement pris dans la même tourmente), le législateur prend une loi pour encadrer la publicité faite autour des médicaments à usage humain. Un des grands principes établis par cette réglementation prévoit qu'il est interdit de " promettre, d'offrir ou d'octroyer, directement ou indirectement, des primes, des avantages pécuniaires ou des avantages en nature " aux professionnels de la santé, dont les pharmaciens, dans le cadre de la fourniture de médicaments.Or, lorsqu'un organisateur de séminaire - tout scientifique qu'il soit - invite gracieusement les pharmaciens à son événement (hospitalité comprise), c'est généralement grâce au sponsoring de l'industrie du médicament. Cela revient à offrir, indirectement, un avantage en nature à ces professionnels de la santé. Le législateur de 1964 était-il aigri au point de priver les pharmaciens de se retrouver autour de congrès scientifiques ? Une telle position aurait été contraire à une autre de ses règles : l'obligation de formation des pharmaciens.C'est pour cette raison qu'il a prévu une exception, de taille, au principe général. La même loi de 64 précise, quelques lignes plus loin, que l'interdiction ne s'applique pas " à l'invitation et à la prise en charge des frais de participation, y compris l'hospitalité [des pharmaciens], pour une manifestation scientifique ", pourvu que cette manifestation réponde à quelques conditions. Sauvés ! Les organisateurs peuvent inviter les pharmaciens sans frais, les pharmaciens peuvent assister gratuitement à des conférences scientifiques, et l'industrie pharma peut faire la publicité de ses produits auprès des pharmaciens.Mais raisonner de la sorte, sans tenir compte de ces quelques conditions, serait aller trop vite en besogne. Et c'est probablement ce qu'ont fait dans un accord implicite, pendant longtemps, les différents acteurs concernés. Pour pouvoir s'appliquer, l'exception implique, entre autres, que la manifestation ait un caractère exclusivement scientifique, cadrant notamment avec les sciences médicales et pharmaceutiques. Les pharmaciens doivent d'ailleurs veiller à ne pas accepter d'avantages en nature proscrits par la loi, car une co-responsabilité pénale pèse sur eux. Tous les détails des règles à respecter par les pharmaciens et des sanctions qui pèsent sur eux à retrouver dans cet article.Début août, l'AFMPS, chargée de contrôler la bonne application de la loi encadrant la publicité autour des médicaments, a brusquement durci le ton en annonçant renforcer ses contrôles autour des événements adressés aux pharmaciens. Dans son viseur, deux des trois grands événements belges pour pharmaciens : PharmaFiesta et le séminaire du Bon Air, entre lesquels une discorde avait attiré l'attention de l'Administration. Le premier est, des mots de son organisateur lui-même, " une soirée pour pharmaciens, agrémentée de conférences scientifiques et d'un salon ". Il a fait l'objet d'une plainte anonyme, le plaigant estimant qu'il y avait un trop grand rapprochement entre le salon organisé par l'AUP et la soirée. Le Bon Air, lui, prend le point de vue inverse et organise une journée de conférences accréditées agrémentée d'une partie festive et d'un salon.Aux deux organisateurs, l'AFMPS fait grief d'inviter les pharmaciens, aux frais de l'industrie du médicament, à des événements " mixtes ", et non pas exclusivement scientifique. " L'AFMPS ne peut pas confirmer le caractère exclusivement scientifique du séminaire du Bon Air dans sa dernière version proposée le 24 juillet 2024 ", répondait l'Administration à son organisateur. " Le projet de manifestation présente un caractère mixte, à savoir scientifique et publicitaire. La durée de l'accès aux stands publicitaires, à savoir cinq heures, malgré l'obligation de participer à trois heures de la manifestation scientifique en après-midi, implique que ces stands ne sont pas accessoires à la manifestation scientifique, mais constituent bien un objectif de promotion en tant que tel, à côté de l'objectif scientifique. Cette manifestation de type mixte peut être organisée mais ne peut alors pas bénéficier du soutien financier de l'industrie du médicament ni du dispositif médical. L'AFMPS maintient sa position que, pour constituer une manifestation à caractère exclusivement scientifique, le séminaire du Bon Air devrait rendre les stands uniquement accessibles aux participants de 15h30 à 16h00 et de 17h00 à 17h30, c'est-à-dire pendant les pauses prévues dans le programme. "Le caractère semi-publicitaire de l'événement le fait donc sortir de la cloche protectrice de l'exception légale, et le priverait du soutien financier de l'industrie pharma. À trois semaines de la tenue du séminaire, Daniel De Ron, son organisateur, estime que cette position de l'AFMPS ne lui permet pas d'en finaliser l'organisation. " Nous sommes donc contraints d'annuler ", explique-t-il. " Nous estimons que suivre ces nouvelles 'directives' reviendrait en réalité à exclure tout partenariat avec les industries du médicament et des dispositifs médicaux, dont le rôle de partenaire naturel du pharmacien d'officine est crucial. " Laurent Staquet, organisateur de la PharmaFiesta, a récemment décidé, à contre-coeur, de prendre la même décision en choisissant de ne pas organiser son événement l'an prochain, "bien que cette édition 2024 n'a posé aucun problème, car [il] avait éliminé les partenaires qui pouvaient poser problème aux yeux de l'AFMPS". Sans le sponsoring de l'industrie du médicament, il craignait fort que les pharmaciens ne souhaitent pas payer leur entrée de leur poche, et ne voulait pas se résoudre à organiser un " salon du complément alimentaire ", seul partenaire encore accessible.Le séminaire du Bon Air avait pourtant fait un pas en direction de l'AFMPS, en supprimant les workshops, jugés trop publicitaires, en étendant la durée du programme scientifique à huit heures de formation scientifique sur la journée, en supprimant les conférences abordant des sujets liés à la profession mais non liés aux sciences pharmaceutiques, tels que la digitalisation de l'officine, le droit et la déontologie, la communication, l'environnement... Mais son inflexibilité sur l'accès aux stands de promotion pharmaceutique semble avoir inspiré une certaine fermeté du côté adverse.Une fermeté qui reste d'ailleurs en travers de la gorge de Daniel De Ron, qui dénonce une attitude plus conciliante de l'AFMPS à l'égard de congrès médicaux à destination d'autres professionnels de la santé, tels que les médecins. Il est vrai que les médecins peuvent également récolter des points d'accréditation en éthique et en économie. " Ces congrès incluent aussi des stands, dont certains tenus par l'industrie du médicament, où il n'est pas question de contrôles de durée, ce qui permet un large soutien de l'industrie, sans pour autant que les autorités remettent en question le caractère exclusivement scientifique de ces manifestations. "Sur les réseaux, on lit la déception d'apprendre l'annulation du séminaire. On trouve plusieurs marques de soutien de la part des pharmaciens. " Je trouve que cette fois ci ça va trop loin ", écrit l'un d'entre eux. " S'il y a bien un événement qui était hyper bien encadré avec des formations, un suivi de l'identité des participants, etc, c'est le séminaire du Bon Air. Daniel De Ron avait des règles qu'on trouvait parfois strictes, mais c'était pour éviter d'en arriver là. Je trouve ça scandaleux. " Une collègue abonde dans son sens : " Que restera-t-il à présent aux pharmaciens ? Le séminaire du Bon Air était l'événement de l'année, la possibilité pour le pharmacien d'échanger, rencontrer, discuter de la profession avec d'autres confrères et consoeurs, les labos pharmaceutiques. Le pharmacien d'aujourd'hui va se retrouver de plus en plus esseulé dans un climat de tension dépouillé de cette communication humaine. C'est bien triste... " Une action des pharmaciens, possiblement sous la forme d'une pétition, pourrait bientôt être à l'ordre du jour. Affaire à suivre...