Le KCE s'est récemment positionné par rapport à l'implication des patients dans la recherche de soins de santé. Il s'y montre favorable pour des raisons éthiques, instrumentales et procédurales qui sont convaincantes. Mais s'il est évident que cette implication apporte de nombreux avantages, des défis sont encore à relever.
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Réaliser et publier des travaux de recherche scientifique en soutien à la politique de santé est la mission du Centre Fédéral d'Expertise des Soins de Santé (KCE). Mais sa loi fondatrice ne prévoyait pas explicitement la possibilité d'impliquer le patient dans ses travaux, même si elle ne l'excluait pas non plus. Il s'agissait donc de définir sa position face à cette question.Dans le domaine des soins de santé, on exprime souvent la volonté de placer le patient au centre, ce qui est légitime et justifié ; le patient qui apporte un intérêt instrumental dans plusieurs phases d'une recherche, est aussi un véritable témoin. Il peut être une personne qui a connu l'anxiété avant l'annonce d'un diagnostic, quelqu'un qui a souffert des effets d'une thérapie ou encore qui a vécu dans l'espérance d'une guérison. " Les patients ont le droit démocratique d'être impliqués dans les recherches dont ils vont ressentir l'impact et ils sont susceptibles d'y apporter une contribution unique au départ de leur expérience, de leurs connaissances et de leurs compétences personnelles", déclare le KCE dans son rapport.Il y a dix ans, il était rare que le patient soit impliqué de façon directe dans une des phases de l'étude de recherche. Que cela soit dans les décisions méthodologiques, dans l'interprétation des résultats, dans la formulation des recommandations ou dans la diffusion des conclusions. Au fil du temps, le KCE s'est efforcé d'impliquer les divers stakeholders, dont les patients, dans les différentes phases. Aujourd'hui, ceux-ci peuvent être présents dans toutes les phases de la recherche ou dans quelques-unes selon l'étude, pour autant que cela soit pertinent pour le projet. Cet input reste toutefois un complément à la recherche scientifique.Jonathan Douxfils, docteur en sciences pharmaceutiques et chercheur à l'université de Namur, partage son point de vue sur l'implication des patients dans la recherche. " Il est important d'établir le cadre dans lequel la recherche se fait pour savoir à quel niveau les patients pourront être impliqués. Dans notre cas, nous visons à développer des biomarqueurs qui permettront d'améliorer la prise en charge des patients. Nous identifions les problèmes et nous les solutionnons, cela n'implique donc pas les patients en amont. En ce moment, nous investiguons sur de nouveaux biomarqueurs qui ont pour but d'être applicables au plus grand nombre. Il s'agit d'une étude sur des jeunes filles mises sous pilules contraceptives, dont l'objectif est d'aboutir au développement de biomarqueurs qui permettront de savoir si elles sont plus à risque de faire des thromboses ou non. Il est important dans notre cas d'expliquer l'intérêt de cette recherche au grand public et aux personnes qui pourraient en bénéficier. Ceci permet entre autres d'accroître notre recrutement et surtout d'avoir des volontaires sains qui sont intéressés et qui se sentent impliqués."L'implication dans une étude représente un avantage pour le patient car la recherche devient plus pertinente par rapport à ses besoins et cela lui donne un sentiment de valorisation. Mais cet input est également un atout pour les chercheurs leur permettant de mieux cerner le champ d'investigation de la population des patients concernée; les questions de recherche deviendront dès lors plus pertinentes, les informations et questionnaires plus conviviaux, et les stratégies de recrutement des patients ainsi que l'interprétation des données, nettement améliorées.Malgré tous ces avantages, de nombreux défis sont encore à surmonter, tels que l'implication qui peut être émotionnellement lourde aussi bien pour les patients que pour les chercheurs. Mais sont également cités dans ce position paper l'impression pour les patients de ne pas être pris au sérieux, de ne pas être impliqués, ou le fait de ne pas recevoir de feed-back de la part des investigateurs. Le temps et les ressources nécessaires pour impliquer les patients dans la structure de recherche restent les plus grand défis. " Dans la recherche clinique, la difficulté ne vient pas que des patients mais aussi des médecins qui n'ont pas toujours le temps de maîtriser le sujet pour le présenter de la manière la plus compréhensible aux patients. Nous avons besoin d'être associés à de recherches cliniques pour assurer le suivi administratif et prendre le temps d'expliquer en détail les avantages et les risques aux patients. Il faut réussir à donner une information la plus transparente possible", explique Jonathan Douxfils.Comme avec tous les autres stakeholders, il faut rester attentif à l'éventuel risque de conflits d'intérêts. Aussi bien lorsque des patients ont un intérêt à ce que l'étude débouche sur un résultat donné que lorsqu'ils sont fortement influencés par les cliniciens ou par l'industrie pharmaceutique, détaille le rapport. " Il est probable que certains cliniciens aient un discours orienté qui peut influencer le patient. Mais dans tous les cas, ces conflits d'intérêts doivent être notifiés sur la plateforme www.betransparant.be, et les firmes pharmaceutiques sont tenues de compléter ces informations. Cependant, il est important de rappeler que l'entreprise donne des moyens tant au niveau de la recherche et de l'innovation qu'au niveau des humains et financiers, que l'on ne peut pas retrouver dans un cadre académique et donc tout bon chercheur peut se retrouver à un moment donné face à un conflit d'intérêt.C'est la motivation et l'éthique intrinsèques du chercheur qui doit prévaloir sur les éventuels aspects pécuniaires," précise Jonathan Douxfils.Par ailleurs, une autre grande difficulté dans l'implication de patients dans une étude est de bien choisir les profils et de ne pas se laisser influencer par des patients plus expressifs avec de hautes pathologies ou des personnes de niveaux socio-économiques élevés, face à d'autres catégories de patients issus de milieux socio-économiques moins favorisés ou de minorités culturelles qui risquent au contraire d'être moins sollicités. Cet aspect doit faire l'objet d'une attention particulière pour un souci de justice, d'équité et de légitimité, ajoute le KCE.Pour Jonathan Douxfils, un de ses grands défis est d'arriver à amener le patient à devenir un acteur de la recherche: "Une partie difficile de notre travail est d'arriver à conscientiser le patient sans le forcer mais de lui faire comprendre que sans lui, la recherche aurait moins de chance d'aboutir à des résultats probants. Inclure le patient dans un contexte de recherche, lui donner une importance est primordial pour avancer. Il faut qu'il se sente acteur de cette recherche, y qu'il assume des responsabilités. Ce n'est pas un simple cobaye. Le fait de rejoindre une étude clinique impose de suivre certains critères."