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Cette analyse comparative du cadre juridique et normatif encadrant la pratique de la pharmacie au Canada (Québec), en France, en Suisse (Genève) et en Belgique, vient de paraître dans Le Pharmacien Hospitalier et Clinicien (2019 ; 54 : 356-75). Pour notre pays, c'est Geneviève Philippe du département de pharmacie de l'Université de Liège qui y a pris part.L'étude a relevé 24 activités " réservées " aux pharmaciens : émettre une opinion pharmaceutique ; préparer les médicaments ; gérer les piluliers ; gérer les préparations magistrales non stériles, stériles non dangereuses ou stériles dange reuses ; dispenser des médicaments en officine, en soins de courte durée ou longue durée ; obligation de gérer les médicaments périmés et les retours ; contribuer aux soins de première ligne ; fournir de l'éducation thérapeutique ; surveiller la thérapie médicamenteuse ; initier/ajuster un traitement ; prolonger une ordonnance ; ajuster une ordonnance ; prescrire une ordonnance ; substituer un médicament de même DCI ; substituer un médicament de même sous-classe thérapeutique en cas de rupture ; administrer un médicament à des fins d'enseignement ; administrer un médicament à des fins thérapeutiques ; administrer un vaccin ; analyser des analyses de laboratoire ; et prescrire et interpréter des analyses de laboratoire.Pourquoi cette analyse ?Geneviève Philippe : L'initiative est partie du Canada. Nous collaborons depuis quelques temps avec l'équipe de l'Unité de recherche en pratique pharmaceutique du CHU Sainte-Justine à Montréal, qui a pour objectif de mettre en valeur le rôle du pharmacien sous son angle de clinicien. Cette équipe a un site, Impact pharmacie (impact-pharmacie.org), où elle répertorie les publications qui ont trait au rôle du pharmacien et à l'impact de ses interventions.Cette étude découle du travail d'un étudiant qui a comparé les cadres juridiques de quatre environnements francophones pour voir les différences entre pays dans les activités réservées aux pharmaciens. Notre but c'est d'alimenter les débats pour voir où sont les différences et vers où on pourrait aller dans nos pays respectifs, dans le cadre d'une évolution du métier de pharmacien.Une sorte de boîte à idées où prendre son inspiration ?Oui, c'est une source d'inspiration d'aller voir les pratiques dans les autres pays.Nous sommes partis du cadre légal au Canada en cherchant des similitudes dans nos textes légaux. Parfois, les vocables changent d'un pays à l'autre pour désigner des choses semblables. Par exemple, au Québec, ils parlent de 'prescrire un médicament pour une condition mineure' alors que chez nous, c'est répertorié comme 'fournir une assistance personnalisée des patients en situation d'automédication'.Parmi les 24 activités répertoriées, 14 sont communes aux 4 pays...On retrouve une certaine cohérence dans nos activités. Je constate qu'en Belgique, on a encore une formation multidisciplinaire qui ouvre à l'ensemble des métiers offerts aux pharmaciens, y compris l'industrie et la biologie clinique. Même si cela se développe, on est moins centré sur ce rôle de clinicien dans la formation de base.Quelles particularités belges sont ressorties de cette analyse ?En Belgique, des choses positives s'annoncent mais elles ne sont pas encore traduites dans la loi. Par exemple, en ce qui concerne l'administration de médicaments à des fins d'enseignement, nous avons les entretiens BUM : on ne peut pas 'administrer' le médicament à proprement parler, mais on peut contrôler son utilisation par le patient.Pour les vaccins, la Belgique va vers une évolution comme le montre l'avis des Académies royales de médecine (ARMB, KAGB) favorables à cet élargissement (armb.be, 28 septembre 2019) qui estiment que la vaccination contre la grippe par les pharmaciens représente une plus value en matière de santé publique et qui recommandent " de prévoir dans la législation la possibilité de mener des études scientifiques pour l'administration d'autres vaccins que celui contre la grippe par les pharmaciens si cela s'avérait nécessaire ". Il y a donc une ouverture vers ce rôle de vaccinateur.Le statut de pharmacien de référence est la preuve de cette évolution du rôle du pharmacien vers plus de pharmacie clinique. Aujourd'hui, la Belgique planche sur une révision de la définition de pharmacien d'officine et sur sa mise en valeur.L'étude met en avant certains freins à cet élargissement, comme les réticences du corps médical ou une certaine inertie du corps professoral et de la profession ?Les volontés de changer les programmes existent, on essaye d'anticiper le plus possible mais on est parfois freiné par la rigidité des procédures administratives. On essaie de coller davantage aux attentes de la société en faisant intervenir des professionnels de terrain dans nos commissions chargées de réviser les programmes, et dès qu'il y a un changement légal, il est répercuté dans les cours... Enfin, à l'Université de Liège, on est en train de réfléchir à l'ouverture d'une nouvelle finalité consacrée aux perspectives de développement du métier de pharmacien.En Belgique, notre difficulté c'est qu'on est ambitieux dans le sens où on conserve une formation unique pour l'obtention du diplôme de pharmacien et permettre aux pharmaciens de s'investir autant dans la pratique officinale, que de se spécialiser en pharmacie hospitalière, pharmacie d'industrie, recherche... Ceci empêche peut-être d'aller plus loin dans la pratique clinique dans la formation de base.Quelles conclusions tirez- vous de cette analyse comparative ?Parfois les textes de loi sont touffus et, sans formation juridique, il n'est pas toujours évident de s'y retrouver. Et en Belgique, ces textes sont nombreux... Communiquer encore davantage autour des modifications de la loi pourrait être envisagé. Par exemple au Québec, la publication des activités réservées (sous la forme d'un guide d'exercice) est un peu une vulgarisation de la loi.Ce type d'analyse est un outil : plus il y aura de preuves scientifiques du rôle du pharmacien au niveau international, plus cela pourra servir d'outil pour les personnes qui défendent les droits du pharmacien et pour plaider auprès des autorités politiques.