Alors que les Césars seront remis ce soir dans une ambiance tumultueuse, rencontre avec Éric Neuhoff, critique cinéma français, auteur de "(très) Cher cinéma français", prix Renaudot de l'essai. Sur l'air du "que sont donc la production et les acteurs devenus ? " et du' c'était mieux avant", un livre aux airs de jeu de massacre drolatique, en effet très... critique.
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Comment définiriez-vous le cinéma gaulliste, période que vous semblez appréciée ?Éric Neuhoff : Il avait de la tenue, à la fois commercial et divertissant. Un cinéma qui ressemblait sans doute à la France des ces années-là, où l'on se sentait à l'aise et protégé, ce qui permettait de faire des plaisanteries comme mai 68, en se disant qu'il ne pouvait rien arriver de grave puisque tous ces dirigeants avaient fait la guerre, et en avait vu d'autres. Et puis le cinéma, c'était des scénaristes professionnels, des producteurs qui misaient leur propre argent. On était dès lors certain que le résultat ne serait pas chiant.Il y avait surtout une armée de seconds rôles, dont on ne connaissait pas forcément les noms, mais que l'on reconnaissait à leur visage. Et cela faisait de l'excellent cinéma.Le problème actuellement, c'est qu'il n'y a plus de seconds rôles, ou alors ils deviennent têtes d'affiche pendant un an ou deux, pour ensuite être mis à la poubelle comme des kleenex. Clovis Cornillac en est l'exemple type, le pauvre. Ils sont en train de faire la même chose avec Pierre Niney ou avec François Civil : on les propulse au sommet, sans qu'ils aient fait ni leurs classes ni leurs preuves... et l'on passe au suivant. Mais ce ne sont pas des acteurs de l'acabit de Delon ou Ventura.Vous êtes fan de DS et de déesses à l'écran ?C'était l'époque où l'on reconnaissait les voitures qui étaient belles et différentes, ce qui était également le cas pour les actrices françaises qui, désormais, sont un peu interchangeables.Pascal Thomas trouve grâce à vos yeux ?Ces films me paraissent tellement agréables à regarder, ils sentent le plaisir de filmer, la joie de vivre, la bonne humeur et le dilettantisme. Pour lui, le cinéma est une cour de récréation, avec toute une panoplie de seconds rôles comme Ceccaldi ou Carmet. Et puis quelqu'un qui a lancé Bernard Menez mérite d'avoir une statue sur les Champs-Élysées devant les complexes de cinéma !Surtout dans "Dracula 70" avec Christopher Lee ?C'était un bon navet, parce que cela ne se prenait pas du tout au sérieux.D'ailleurs, j'aimais beaucoup les films des Charlots comme Les fous du stade ou Les Charlots font l'Espagne. Des comédies qui ne se voulaient pas prétentieuses. Alors que je viens de voir le film de Jeanne Balibar, qui est une telle honte que cela en devient gênant.Vous parlez à propos du cinéma de "L'or du temps" ?Oui, son côté alchimiste : le cinéma, c'est transformé la vie en quelque chose de mieux, de magique, et dans le meilleur des cas, d'inoubliable. Des choses qui paraissent beaucoup plus intéressantes que si vous étiez resté dehors.On sent que la mort traîne derrière les mots...En tout cas la mort du cinéma ! Nous sommes en train d'assister à l'agonie d'un art ou d'un divertissement qui faisait partie de nos vies, une sorte de langage commun. Raison également pour laquelle j'ai fait ce livre. J'en avais marre de tomber sur des gens qui m'avouaient ne plus jamais aller voir un film français. Le cinéma a disparu des conversations : plus de répliques que les spectateurs connaissent par coeur, depuis vingt ans au moins. Plus la fin d' A bout de souffle avec Jean Seberg qui demande : "qu'est ce que c'est "dégueulasse"" ? Même plus de blagues sur le beurre à cause du Dernier tango à Paris.Vous cultivez plus le glamour que l'amour du cinéma ?Aussi. Comme disait Truffaut : "le cinéma c'est faire faire de jolies choses à de jolies femmes". C'est un cinéma qui disparaît.Vous détestez Chantal Ackerman ?Oui. Je me souviens de celui en noir et blanc avec Delphine Seyrig qui épluchait des pommes de terre pendant vingt minutes dans Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles.A la place, je préfère revoir les émissions de cuisine de Maïté de l'époque.Vous regrettez le côté aseptisé et lyophilisé du cinéma ?Sans aspérité et sans passion. On a le sentiment que tout le monde fait du cinéma en France en traînant les pieds, ce qui transforme les films en pensum pour le spectateur les trois quarts du temps.Le cinéma devrait être quelque chose qui embellit la vie, la rend plus intéressante, qui vous fait rire, vous donne l'envie de tomber amoureux, de voyager, de changer de vie... Cela devrait être comme les années pour les chiens et rendre les minutes sept fois plus intéressantes !Votre livre est un Huppert-cut ?C'est une demande en mariage déguisée. Elle n'a pas à tourner cinq films par an. Et puis Isabelle Huppert est la caricature de tout le cinéma d'auteurs, ce qu'on appelait les films intellectuels dans les années soixante.Isabelle se trompe complètement de rôle : quand elle jouait La dentellière, c'était parfait. Mais quand elle fait sa Garbo, je ne marche pas du tout.Je fais partie d'une génération qui a vu ses débuts, et personne n'aurait soupçonné qu'elle serait la gagnante au bout du compte.Votre livre c'est le hussard sur le moi ?Le fait est que le cinéma est quelque chose de très personnel et complètement lié à l'adolescence. Je m'identifiais d'ailleurs totalement aux acteurs en voyant un film. Idem quand je lisais un livre, j'aurais voulu en être l'auteur.Justement le cinéma doit-il rester un plaisir adolescent ?Oui parce que lorsque l'on voit un beau film, on a à nouveau 14-15 ans. On retrouve une part d'innocence que la vie et l'âge vous ont quand même volée à 90%. Cela devrait être cela : repartir à zéro et découvrir de nouveaux mondes, raviver des sentiments et puis sortir de la salle avec des ailes aux talons.Chacun voit un film différent, et c'est bien.Comment se fait-il, et vous l'évoquez dans l'ouvrage, que le son est toujours aussi mauvais dans les films français ?Il faut demander à Robert Hossein. (il rit). Très souvent, on ne comprend rien : déjà que les acteurs ne savent pas articuler ! Le budget consacré au son doit être rogné par le producteur. Et dorénavant, la plupart des acteurs ne sont pas passés par le conservatoire. Bref, il faudrait prévoir des sous-titres pour le cinéma français ! (rires)