" Les pharmaciens sont des inventeurs dans l'âme ", affirme Marc Degroote, ancien apothicaire aujourd'hui âgé de 75 ans. Avec son collègue Bart Beckers, il a été l'un des premiers Belges à lancer son gin, en 2015, mais il s'est aussi constitué au fil du temps une collection d'antiquités officinales. " J'ai commencé à m'intéresser aux objets anciens dès ma jeunesse, mais je commence à me demander ce que va devenir ma collection. "
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C'est dans la commune rurale de Hautem-Saint-Liévin, en Flandre-Orientale, que ce Ouest-Flandrien de souche nous reçoit. "Ma collection compte aujourd'hui plus d'un millier de pièces, qui ont chacune une histoire à raconter", commence-t-il. On y trouve les objets les plus divers, des presses destinées à la fabrication de suppositoires ou de comprimés vaginaux aux panneaux publicitaires en émail en passant par les vitraux, les filtres à eau anciens et même un mortier du 17e siècle arborant le logo de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC). "J'ai été pharmacien d'officine à Langemark-Poelkapelle jusqu'au jour où ma fille a pris la relève", relate le septuagénaire. "Je me suis toujours beaucoup intéressé aux objets anciens et, tout jeune déjà, j'adorais écumer les marchés aux puces. J'ai aussi un faible pour les vieilles voitures. Par ailleurs, je me suis très vite impliqué dans les activités de l'association professionnelle, de l'Ordre et du grossiste coopératif et j'ai même été président du réseau des pharmaciens de Flandre-Occidentale et du Vlaams Apothekersnetwerk. C'est ainsi que j'ai découvert que nombre de collègues venaient y déposer les "vieilleries" officinales dont ils ne voulaient plus, et qui finissaient généralement à la décharge." Son sang de collectionneur n'a évidemment fait qu'un tour. "Au-delà de l'aspect esthétique, j'étais fasciné par l'histoire de ces objets. Plutôt que de mettre au rebut tout ce patrimoine, j'ai eu la chance de pouvoir récupérer ce qui m'intéressait, ce qui m'a permis de poser les bases d'une collection qui allait s'enrichir au fil des décennies. Ajoutez-y des contacts réguliers avec mon collègue Gillias, les marchés aux puces et les enchères en ligne et vous obtenez ce que vous voyez autour de vous. J'ai toujours trouvé cela passionnant et riche d'enseignements." Au-delà de sa passion des objets chargés d'histoire(s), la collection de Marc Degroote trahit aussi l'amour qu'il porte à sa profession et à son patrimoine... et qu'il aime à transmettre. "Il m'est arrivé de recevoir ici 200 personnes pour une journée du patrimoine, qui a aussi été l'occasion de raconter des anecdotes de pharmaciens." "Les filtres à eau sont un peu mon dada. On en trouve de toutes sortes, petits et grands, en verre ou en céramique... et indépendamment de cet aspect esthétique, disposer d'une eau pure et de qualité a toujours été essentiel à l'officine." Le caractère longtemps artisanal du métier et les objets eux-mêmes sont une véritable mine d'histoires, souligne notre interlocuteur. "Un biberon en étain du 17e siècle, des biberons à thermomètre, des clystères à lavements: chaque objet est prétexte à raconter une histoire. Prenez cette boule à dorer les pilules, par exemple. Autrefois, les médicaments étaient fabriqués en vrac à l'aide d'une planche spéciale puis roulés à la main et, parfois, recouverts d'une dorure pour les rendre plus appétissants. De mon temps, je le faisais encore! Ma génération est la dernière à avoir encore fait énormément de préparations. De nos jours, le rôle du pharmacien est davantage axé sur la prévention et sur sa fonction de conseiller du patient." "La seule pièce qui manque vraiment à ma collection, c'est un comptoir ancien... mais je n'ai vraiment plus la place. Cela me fendrait le coeur de devoir me séparer de ma collection." La question de savoir ce qu'elle deviendra dans le futur préoccupe beaucoup l'ancien pharmacien, car certains objets ont une valeur historique réelle - comme ce mortier datant de l'époque de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Dans un tout autre ordre d'idées, Marc Degroote est convaincu que les pharmaciens sont aussi des inventeurs dans l'âme. "Prenez le chocolat, le Coca-Cola, la sauce Worchestershire ou la technique utilisée pour filtrer les sédiments du champagne: on doit toutes ces inventions à des pharmaciens!" Il a d'ailleurs lui-même apporté sa petite pierre à cette tradition avec son collègue Bart Beckers. "Étant tous deux amateurs de gin, nous avons eu l'idée - à l'époque où ce n'était pas encore un produit à la mode - d'en créer un nous-mêmes. Notre mélange contenait notamment de la damiane, une herbe autrefois utilisée par les hommes pour donner un nouveau souffle à leur vie amoureuse. Nous nous sommes dits que cet ancêtre du Viagra était un ingrédient incontournable", explique-t-il avec un clin d'oeil malicieux. Et force est d'admettre que ce Quantum Satis ("autant que nécessaire", en référence à la formule autrefois mentionnée sur les prescriptions médicales), conditionné dans une bouteille inspirée des flacons de médicaments du 18e siècle, est un gin corsé qui laisse en bouche un goût savoureux.