...

Le Pharmacien: Les patients pauvres sont-ils vraiment différents et nécessitent-ils réellement une approche différente? Dr Michel Roland: La pauvreté fait partie de la vulnérabilité comme la petite enfance, le grand âge, la grossesse, etc. Tous ces facteurs de vulnérabilité se multiplient plus qu'ils ne s'additionnent. Donc on se retrouve avec des personnes très fragiles et très vulnérables à tout point de vue: problèmes somatiques, d'obésité comme vous le citez dans votre enquête et de santé mentale. Sont-ils différents en tant que tels? Non. La nature humaine est universelle. Mais lorsqu'on prend contact avec eux, oui. Sont-ils un peu responsables? Oui, ils mangent plus mal que les autres. Ils font moins de dépistage même lorsque c'est gratuit. La santé dentaire de leurs enfants laisse à désirer. Il y a moins de suivi scolaire. Il y a des manques à tous les niveaux. Mais ce n'est pas "volontaire". Même le taux de tabagisme est chez eux plus important. Pourtant fumer coûte cher... Ils le savent bien. Mais il y a une espèce de sous-culture de la pauvreté. Le problème principal est l'absence d'anticipation de l'état de santé. Ils ont le nez dans le présent, devant faire face à l'immédiat: comment vêtir les enfants, payer la cantine... Ou tout simplement acheter une nouvelle télé sachant que le budget du ménage va déraper... L'avenir étant moins prévisible pour eux, cela les intéresse peu d'autant qu'il est relativement sombre. Idem en soins de santé. Ce qui explique la faiblesse de la prévention en santé pour ces publics précaires. Pourtant les soins sont accessibles en Belgique... Oui. Mais il faut distinguer l'accessibilité et l'accès. L'accessibilité est une notion théorique. Les soins en Belgique sont très accessibles. Mais l'accès, pas vraiment car des facteurs géographiques, culturels et sociaux interviennent. Les "pauvres" ont beaucoup moins "accès" aux soins. L'aspect financier n'est pas forcément leur limite. Plutôt une sorte de "sous-culture" du pauvre. Idem en matière de santé mentale. Ils bénéficient de droits sociaux dont ils n'ont pas connaissance vraisemblablement. Peut-être n'y croient-ils plus? Ils ne connaissent peut-être pas les chemins d'accès? Pour nous, c'est parfois décourageant... On leur dit de se faire soigner les dents puis trois mois après, ils reviennent avec un abcès... On doit dépister des tuberculoses. Les migrants en particulier ont droit aux soins via l'aide médicale urgente. Mais ils n'y recourent pas forcément. N'est-ce pas chronophage pour les soignants? On passe en effet plus de temps avec les patients avec une mauvaise littératie. Il faut répéter, utiliser des mots très simples... Les patients dans la précarité subissent-ils plus que les autres les méandres administratifs de notre très complexe système de soins de santé? Complètement. Les pauvres en Belgique surtout... De mon expérience j'observe toutefois que les jeunes migrants manient l'iphone mieux que vous et moi! C'est leur lien direct avec le monde. Ils connaissent tout du système! Les obstacles sont ici plutôt politiques. Alors que les pauvres et les vieux Belges subissent une terrible fracture numérique. Notre système de soins est aussi complexe que la Belgique. On superpose des tas de trucs... Les organisations comme l'Ordre, les sociétés scientifiques, voire les cercles, sont-elles suffisamment conscientisées à la pauvreté des patients? Pourraient-elles faire mieux à votre avis? Sans aucun doute. Je n'ai pas toujours été d'accord avec l'Ordre des médecins sur le ticket modérateur, etc. Mais aujourd'hui, les forfaits se sont multipliés. Du côté des sociétés scientifiques, il y a une prise de conscience. La migration des Ukrainiens, par exemple, nous fait rencontrer des personnes déracinées légalement ou illégalement. Que ce soit écologique, politique ou climatique on sera amené à en rencontrer davantage. L'Ukraine démontre qu'on ne migre pas toujours parce qu'on en a l'envie. Ici: aucune discussion possible.