Bien accompagner les patients en situation de pauvreté et les référer à d'autres acteurs si nécessaire n'est pas toujours évident pour les pharmaciens, aussi sensibles soient-ils à cette problématique. Accorder une attention plus grande à la question au cours de la formation peut contribuer à améliorer les choses, tout comme le partage de connaissances et d'expériences entre collègues.
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Étudiante en pharmacie à l'université d'Anvers (UA), Veronique Buijzen planche actuellement sur un travail de fin de master consacré au cercle vicieux de la pauvreté et des problèmes de santé, sous l'accompagnement du professeur de pharmacologie Hans De Loof. Ils ont accepté de commenter ensemble les résultats de notre enquête sur la précarité, dont vous pourrez découvrir les principales tendances en page 9 de cette édition. L'une des affirmations proposées dans notre enquête était que la temporalité des soins - comprenez, leur administration en temps opportun - est plus problématique chez les personnes en situation de pauvreté que chez les autres. "C'est exact: bien souvent, les soins de santé ne font pas partie de leurs priorités. Du coup, les petits bobos ont davantage tendance à se multiplier et à s'aggraver, ce qui accroît en aval le risque de plaintes physiques et psychologiques." Le contexte économique actuel ne fera sans doute rien pour arranger les choses, puisque "le prix d'achat des médicaments augmente et, avec lui, le coût pour le patient". On ne peut que déplorer que la précarité ne soit pas ou guère abordée au cours des formations. "C'est pourtant une problématique indissociable de notre société: la pauvreté a toujours existé et existera toujours. Les universités devraient aborder cette réalité au cours de la formation de base, des journées organisées pour permettre aux étudiants de rafraîchir leurs compétences ou de stages organisés dans différents types d'officines pour permettre aux pharmaciens en herbe de se faire une meilleure idée de la population qu'on y rencontre." L'enseignement et le transfert des connaissances ne sont certes pas un remède miracle, mais ils n'en sont pas moins un premier pas indispensable dans la bonne direction, estiment nos interlocuteurs. "C'est ainsi que l'on apprend à mieux aborder, accompagner et référer les patients défavorisés, j'en ai moi-même fait l'expérience au cours de mon stage", explique Veronique Buijzen. "Parfois, on se sent vraiment très démuni. Je me souviens encore très bien de cette dame qui s'est présentée pour un test covid après un contact à haut risque - une dépense de 35 euros qu'elle devait payer de sa poche et ne pouvait pas se permettre. Elle a fondu en larmes au comptoir de la pharmacie. C'est le genre de situation où on se retrouve dos au mur, le coeur serré, et où on aurait presque envie de sortir soi-même son portefeuille. Il faudrait vraiment des solutions sur le plan politique et administratif." Une attention plus grande à la pauvreté dans les formations, journées d'études et autres recyclages est du reste un must non seulement pour les pharmaciens, mais pour tous les prestataires de première ligne, souligne-t-elle encore. Assez paradoxalement au vu des lacunes criantes de la formation, la majorité des répondants de notre enquête s'estiment suffisamment familiarisés avec la question pour pouvoir s'acquitter correctement de leur mission de soins auprès de cette population vulnérable. "Ces connaissances sont principalement le fruit de l'expérience. Chemin faisant, on apprend à mieux connaître les solutions de fortune (échantillons gratuits, délais de paiement, etc.), mais aussi les possibilités qui existent pour référer les personnes en situation de précarité. Cela reste un écheveau extrêmement complexe, mais avec lequel les pharmaciens doivent vraiment être familiarisés." Il est aussi interpelant de constater combien le fossé numérique représente un obstacle supplémentaire pour les personnes exposées à la pauvreté. "Avec la généralisation de la prescription numérique, le lien avec les médicaments prescrits se perd un peu pour les patients, en particulier ceux qui sont déjà précarisés. Ils n'ont plus de vue d'ensemble. Nous insistons donc toujours sur le fait qu'ils ne doivent pas hésiter à demander une copie papier à leur médecin." Le fait que le médecin tienne compte de la situation financière du patient lorsqu'il rédige ses prescriptions peut déjà faire une sérieuse différence. "Malheureusement, la connaissance assez moyenne des différentes classes de remboursement au sein du corps médical est le reflet de la complexité du système." Dans l'exercice proposé dans le cadre de notre enquête, le produit le plus cher de la liste était un laxatif prescrit pour combattre les effets secondaires du traitement par antipsychotiques. "La constipation étant un problème fréquent chez les patients sous antipsychotiques, ce produit est vraiment indispensable et très important pour la compliance. Nous plaidons donc pour que les médicaments en vente libre soient également repris dans le système de remboursement." Pour stimuler l'échange de connaissances et d'expériences dans le domaine de la pauvreté, Veronique Buijzen et le Pr De Loof pensent à la création d'une banque de connaissances. "Les pharmaciens pourraient y déposer leurs idées, réactions et éventuelles solutions pour certaines situations. Les réponses aux questions ouvertes de l'enquête comportaient déjà quelques suggestions et pistes de réflexions intéressantes." Une idée prometteuse, donc, pour les pharmaciens interpelés par le problème de la précarité!