Président de l'Association Pharmaceutique Belge (APB) de 2016 à 2018 puis à nouveau à partir de 2020, Lieven Zwaenepoel a décidé l'an dernier de mettre prématurément son mandat à disposition avant de rejoindre, au printemps 2021, le parti écologiste flamand Groen. Retour sur ce changement de cap professionnel.
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Nous vous connaissions en tant que pharmacien et président de l'APB, mais je vois sur LinkedIn que vous avez d'abord fait des études de langues et de philologie... Ce n'était pas un choix très réfléchi (rire). Mon père avait une officine, mais je ne me sentais pas prêt à assurer la relève. J'ai donc choisi une filière sur la base de deux grands critères: éviter les maths à tout prix et étudier à Louvain. J'ai aussi pensé à l'histoire et à la psychologie avant de me décider pour les germaniques... et je ne l'ai jamais regretté, même si j'ai ensuite enchaîné sur les sciences pharmaceutiques. Qu'avez-vous pensé du cursus? Est-ce qu'il prépare bien au métier? Je dirais qu'il y avait une marge d'amélioration. La formation était très scientifique, avec beaucoup de chimie, de biologie et de laboratoires, mais pratiquement rien sur les contacts humains qui représentent une part tellement importante du travail à l'officine. Les connaissances scientifiques, il faut pouvoir les traduire dans un langage accessible au commun des mortels! Heureusement, les choses ont bien évolué depuis mon époque: depuis l'arrivée du Pr Laekeman, la formation comporte aussi un volet communication et soins pharmaceutiques, qui a encore été développé par le Pr Foulon et son équipe. Avez-vous immédiatement commencé à travailler comme pharmacien? Lorsque j'ai terminé mes études, on manquait de pharmaciens et nous avions déjà du travail avant même de décrocher notre diplôme. J'ai d'abord travaillé cinq ans à l'officine de Luc Bollen à Aarschot, mais lorsque mon père a commencé à me tirer par la manche, j'ai finalement repris la pharmacie familiale avec ma soeur. J'ai toujours essayé de voir au-delà du seul aspect scientifique. Le pharmacien, c'est le dernier maillon entre le médicament et le patient. Après lui, il n'y a vraiment plus personne pour rectifier le tir, sauf peut-être un infirmier à domicile. Nous sommes aussi un peu un guichet de consultation ouvert à tous. Quand un patient vient pour une boîte d'Immodium, cela cache souvent une demande sous-jacente. Pour peu qu'on y prête l'oreille, on entendra aussi ses autres histoires - celle de ses poulets malades ou de sa tante qui est un peu pâlotte, par exemple. Pousser la porte de la pharmacie est beaucoup plus facile que d'aller chez les médecin... et, dans ce contexte, la manière dont les pharmaciens sont financés pose vraiment problème. À mes débuts plus encore que maintenant, tout dépendait du chiffre d'affaires: pour bien gagner sa vie, il fallait vendre des produits coûteux, donner des conseils gratuits ne rapportait rien. Cela ne peut plus durer. En même temps, cette expérience fait réfléchir à une meilleure manière d'organiser les choses. Est-ce pour cela que vous vous êtes engagé dans la défense professionnelle? J'ai rapidement été impliqué dans le Brabants Apothekersforum (BAF) et c'est ainsi que j'ai peu à peu fait mon trou. Lorsque les pharmaciens ont été obligés de constituer un manuel de la qualité, j'ai été aider des collègues au nom du BAF. Le président en fonction m'a ensuite demandé si je ne voulais pas rejoindre le conseil d'administration en tant que vice-président. C'est comme cela que je me suis retrouvé au Conseil Fédéral de l'APB, puisque celle-ci est en réalité une fédération d'associations professionnelles locales. Toutes les positions, tous les dossiers sont préparés à la demande de ces dernières ou approuvés par leurs soins. Au conseil fédéral, je défendais la vision du BAF. Au lendemain des mesures d'économies de Laurette Onkelinx et de l'introduction du nouveau modèle de rémunération, c'étaient de gros dossiers. C'est ainsi que j'ai appris à réfléchir à des questions stratégiques qui dépassent l'horizon de la pratique quotidienne. Au comptoir, ce n'est pas notre préoccupation première: il faut dépêtrer les formalités de remboursement, gérer sa PME et endosser la responsabilité de la santé d'une foule de personnes. Une organisation professionnelle propose une aide pour des aspects très concrets comme la tarification ou la comptabilité, mais aussi un soutien scientifique et une formation continue. À mes débuts, le pharmacien n'intéressait guère le monde politique, mais cela a changé depuis quelques années. De nos jours, la plupart des partis nous voient non pas comme des vendeurs de médicaments, mais comme des conseillers, des maillons à part entière dans l'équipe de santé de première ligne, et c'est très important. Aller consulter un médecin demande un effort que certaines personnes ne feront que lorsqu'elles sont pratiquement à l'article de la mort. Les bobos, c'est à la pharmacie qu'on les voit. C'est aussi là qu'on peut faire de la prévention et orienter les patients vers les soins les plus adéquats. Après un premier mandat de président de 2016 à 2018, vous avez repris du service début 2020, juste avant la crise du coronavirus. Comment avez-vous vécu cette période? Elle n'a évidemment pas manqué de piquant, que ce soit pour nous ou pour le secteur des soins en général, pour le monde politique et pour les autres fonctions essentielles. Je me souviens encore des semaines entre les vacances de carnaval et le début du confinement. C'était vraiment de la gestion de crise. Ce n'est que lors de la conférence de presse annonçant le premier confinement que nous avons appris que les pharmacies devaient rester ouvertes. A suivi une véritable ruée sur les officines. Nous avons dû installer en toute hâte des écrans en plexiglas, nous manquions cruellement d'information et il n'y avait rien en provenance des autorités. Or le danger était bien réel: nous avons eu des malades et même des décès parmi nos membres. Nous avons aussi été confrontés à des pénuries aiguës - celles des masques et du gel hydroalcoolique dont les médias ont tant parlé, mais cela a aussi été très juste pour l'oxygène et pour certains médicaments de première nécessité aux soins intensifs. Heureusement, nous avons pu réagir rapidement en collaboration avec l'AFMPS. Et plus tard, nous avons eu des concertations intensives avec certains cabinets, et notamment avec la Défense pour la distribution des masques gratuits. À la fin de l'année dernière, vous avez choisi de mettre prématurément votre mandat à disposition. Pourquoi? On sous-estime souvent à quel point on se retrouve happé par ce genre de fonction. Il faut énormément d'énergie pour diriger une organisation comme l'APB, car les pharmaciens sont aussi différents que la population dont ils sont issus, avec chacun son avis, son opinion, sa vision. Il faut veiller à ne laisser personne à quai, parvenir à de bonnes décisions et s'assurer qu'elles soient soutenues par la base. On passe toutes ses soirées et la plupart de ses weekends à travailler. Au cours de la crise du coronavirus, la pression était colossale. On parle ici d'une foule de membres pharmaciens et d'un nombre exponentiel de patients, ce ne sont pas des broutilles dont nous devons nous occuper. Je ne veux évidemment pas m'en plaindre, cela fait partie de la fonction, mais cela commençait vraiment à peser lourd sur ma vie de famille et je sentais que je devais commencer à faire attention à mon bien-être psychologique. J'ai donc été amené à choisir entre d'une part les intérêts des pharmaciens, de l'autre les miens et ceux de mes proches... mais la décision n'a pas été facile. Vous avez désormais rejoint l'équipe de Groen en tant que collaborateur stratégique dans le domaine des soins, de la santé et de la bioéthique. Que recouvre cette fonction? Je fais un travail administratif de fond au sein du service d'étude. Nous préparons des dossiers, nous répondons aux questions des mandataires, nous rencontrons régulièrement les collaborateurs du cabinet qui assurent le suivi des dossiers de santé... Nous avons aussi l'occasion de plancher sur des dossiers actuels comme celui de la pollution au PFOS. Quel est le risque pour la santé? Que font les pouvoirs publics? Et nous contribuons évidemment au volet soins, santé et bioéthique du programme du parti. Ce dernier aspect concerne par exemple des sujets comme l'euthanasie ou la proposition de loi visant à interdire la circoncision des garçons. Il me semble que vous travaillez pour un parti qui n'aime pas trop l'industrie, y compris pharmaceutique, ou est-ce que je me trompe? Groen n'a rien contre l'industrie ou les entrepreneurs, pour autant qu'ils soient attentifs à la durabilité... et c'est parfois là que le bât blesse. Prenez l'histoire du PFOS: Groen n'est pas opposé à l'industrie chimique, mais elle doit accepter de prendre ses responsabilités. Le coût environnemental de ces activités n'est pas pris en compte et la facture pour réparer les dégâts est renvoyée au contribuable. En ce qui concerne le pharma, nous ne pouvons que constater qu'il est dominé par un petit nombre de multinationales extrêmement puissantes sur lesquelles les États individuels n'ont guère d'influence. Il est un fait qu'elle génère énormément d'innovations - c'est formidable que plusieurs vaccins contre le coronavirus aient été développés en moins d'un an -, mais on peut tout de même s'interroger sur sa logique un peu trop économique. Le débat sur les brevets en est un bon exemple: le secteur a raté une occasion de mettre exceptionnellement ses intérêts économiques de côté et de tout mettre en oeuvre pour vacciner le monde le plus vite possible. Face à l'urgence, va-t-on privilégier la santé du monde ou les chiffres trimestriels? Les seconds, apparemment. Voyez-vous des similitudes entre un parti politique et une organisation professionnelle? Les gens oublient souvent que nous prenons les décisions tous ensemble. La Belgique, ce n'est pas un Premier Ministre ou un gouvernement, mais 11,5 millions de citoyens. De même, le fonctionnement d'une association dépend de l'ensemble de ses membres. La politique, ce n'est donc pas juste récolter un maximum de voix ou s'assurer une couverture médiatique: c'est parvenir à une décision avec tout un groupe de personnes, qu'il s'agisse de rouler à droite ou à gauche ou de rendre la vaccination obligatoire, et tout le monde a son mot à dire dans ce choix. Il n'est pas correct de rejeter cette responsabilité sur le monde politique ou sur les dirigeants d'une association. Nous pouvons tous apporter notre pierre à la société.