Tels des soldats en première ligne, les pharmaciens se sentent, ou se sont sentis, relativement désarmés et mal protégés pour faire face au coronavirus. S'ils tiennent bon dans les tranchées, certaines revendications commencent à poindre comme une meilleure reconnaissance du véritable rôle qu'ils occupent dans la chaîne des soins de santé.
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Après les moments de folie précédant le confinement, un certain calme est revenu dans les pharmacies. " Nous étions tout à fait débordés, explique une pharmacienne exerçant en Brabant wallon. Maintenant, le problème c'est de gérer les téléphones et la livraison des médicaments aux patients confinés chez eux ou trop âgés pour se déplacer. Le plus dur c'est vraiment ce téléphone qui sonne tout le temps ". " Ce qui est le plus fatiguant psychologiquement pour nous, c'est le nombre de coups de fil des patients qui demandent s'ils doivent prendre rendez-vous pour passer à la pharmacie, si nous sommes ouverts aux heures normales, si on a encore des masques, thermomètres, gants, solutions hydroalcooliques... Énormément de gens ont aussi appelé pour se procurer de la chloroquine : dans un mouvement de panique, ils étaient prêts à tout. On a dû leur expliquer que ce n'était pas une bonne idée et qu'il fallait être suivi par un médecin. J'ai parfois eu plus de coups de fil que vu de patients sur une journée ! ", confirme Philippe Parent, pharmacien à Bruxelles. Quant à savoir si le temps passé en téléconsultation mérite d'être rémunéré, le Bruxellois pense qu'il faudrait, à tout le moins, négocier la prise de risques : " Il y a de quoi s'interroger, pourquoi n'avons-nous pas été considérés directement en première ligne ? Notre profession n'a pas été assez soutenue au départ par le politique, il n'y a pas eu de masques pour nous alors que nous rencontrons beaucoup de gens. Avant le confinement, je voyais 300 personnes par jour, sans porter de masque... Il pourrait y avoir un dédommagement... " " En même temps, je ne veux pas que nous soyons prioritaires par rapport à d'autres secteurs : quand je vois le combat des infirmiers, j'estime qu'ils méritent un salaire plus important que ce qu'ils touchent. Je ne voudrais pas en faire une exclusivité pour les pharmaciens mais nous devons être reconnus comme prestataires de soins de première ligne et avoir un rôle par rapport au médecin. Je crois qu'il faut revoir certains de nos honoraires. C'est aussi un bon moment pour réévaluer les risques de notre métier ". Dans ce chaos, certains côtés plus positifs se font jour. " Les gens commencent à comprendre qu'on est en première ligne. Ils ne s'en rendaient peut-être pas compte avant ", concède-t-il. Une autre point semble évoluer avec cette pandémie : la meilleure compréhension de l'intérêt de l'e-prescription. " Le coronavirus relance un peu la prescription électronique. Des patients arrivent avec leurs ordonnances sur leur GSM et me demandent si ce sera encore possible après... Cela pose des questions sur la façon d'obtenir une ordonnance, il faut peut-être y réfléchir. C'est aussi une bonne chose pour les médecins qui n'avaient pas bien pris le train de l'informatique : certains commencent à s'y mettre parce qu'ils se rendent compte que cela a une utilité et ceci vaut pour toutes les générations ". Un autre rêve occupe les pensées de Philippe Parent, celui de la prescription pharmaceutique : " On en parle aujourd'hui pour le gel hydroalcoolique, mais je rêve que nous puissions tenir notre rôle de prescripteur à certains moments, notamment dans les pathologies chroniques. On pourrait dégager des budgets pour permettre aux pharmaciens de renouveler des prescriptions ".