A Bruxelles, la pharmacie Square Levie a mis au point un système de pictogrammes permettant de communiquer avec les patients n'ayant aucune langue commune avec les pharmaciens. Leur outil vient d'être récompensé par le Prix CDSP, remis lors du salon Pharmcare.
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Comment communiquer avec un patient qui ne comprend que le chinois ? Face à ce mur d'incommunicabilité, l'équipe de la pharmacie Square Levie à Schaerbeek s'est retroussé les manches : " L'idée a germé il y a trois ans parce que, dans notre officine, on a beaucoup de patients qui ne connaissent aucune des trois langues nationales. Beaucoup parlent chinois parce qu'il y a un médecin qui parle cette langue tout près de chez nous. Nous n'arrivions pas à communiquer avec ces personnes, nous avons essayé avec Google translate etc., mais c'était compliqué ", raconte Sophie Etienne, pharmacienne adjointe." Nous avons donc cherché un outil existant, avec des photos, par exemple. Nous en avons trouvé beaucoup mais ils étaient destinés aux médecins ou aux hôpitaux. Il fallait quelque chose que nous puissions utiliser en tant que pharmacien, pratique au comptoir et pour les patients ".Que faire quand on ne trouve pas chaussure à son pied ? Le faire soi-même ! Ainsi, l'équipe de la pharmacie schaerbeekoise, avec l'aide d'un stagiaire canadien, a trouvé un software de pictogrammes de la FIP (Fédération internationale pharmaceutique) : " Ces pictogrammes n'étaient pas exploitables tels quels, mais ils étaient validés par la FIP. On a eu leur autorisation pour les utiliser et nous avons créé une sorte de jeu de cartes ", explique-t-elle.Cette première mouture a reçu le Prix Well Done (MSD Health Literacy Awards) et, suite à la médiatisation de cette récompense, la pharmacie a reçu beaucoup de demandes de la part d'autres pharmaciens, de médecins, d'asbl... " On s'est dit qu'il serait bête de garder cela juste pour notre officine. Nous avons donc transmis le projet à l'UPB (Union des Pharmaciens de Bruxelles) qui, avec Cultures & santé (C&S) (une asbl de promotion de la santé à Bruxelles), a testé l'outil et l'a validé avant une éventuelle distribution aux pharmaciens ".L'outil est-il facile à utiliser ? Est-il complet ? Les pictogrammes sont-ils facilement compréhensibles par tous ? Répond-il à ses objectifs ? Engendre-t-il les résultats attendus ? Répond-il à un besoin ? Quelle plus-value a-t-il par rapport à un système existant ? Pour répondre à toutes ces questions, l'outil a donc été testé dans un groupe d'apprenants en français de C&S et de la maison de quartier d'Helmet. Il a également été testé en situation réelle dans 11 pharmacies bruxelloises et enfin, dans un focus group avec des pharmaciens testeurs." Dans notre pharmacie ", poursuit Sophie Etienne, " nous avons une patientèle asiatique mais, des musulmans ou des Américains auront-ils la même sensibilité ? L'image d'un suppositoire peut par exemple choquer dans certaines cultures. C'est pourquoi nous avons fait des tests dans des pharmacies réparties sur tout le territoire de la région bruxelloise pour essayer de rencontrer toutes les cultures ".Pendant 3 mois (juillet, août, septembre), ces pharmacies pilotes ont utilisé l'outil (pictogrammes et schéma de médication) mis au point à Schaerbeek. Les pharmaciens devaient remplir un questionnaire avant le test, pendant et après. " Avant, pour voir comment ils communiquaient avec les patients avec lesquels ils n'avaient aucune langue commune, s'ils avaient déjà cherché un outil, s'ils en utilisait un... Pendant le test, ils devaient remplir un questionnaire chaque fois qu'ils se servaient de l'outil : quels pictogrammes avaient été utilisés, dans quelles situations, si certains n'avaient pas été compris... Et, à la fin du test, un autre questionnaire pour savoir s'ils avaient trouvé l'outil pratique, s'ils le réutiliseraient ou le conseilleraient à d'autres collègues... "Ensuite, un focus groupe réunissant certains des pharmaciens participants a été organisé avec l'aide de Cultures & santé qui a cadré toute la validation. L'objectif étant d'obtenir un consensus sur les améliorations à apporter à l'outil." On a modifié le format : avant c'était une sorte de jeu de cartes accrochées par un anneau, ce que les pharmaciens ne trouvaient pas pratique. Désormais, les pictogrammes sont rassemblés par planches A4 (une planche avec les recommandations, une planche avec les effets secondaires, etc.), on a ajouté certains pictogrammes et modifié d'autres. On a aussi changé l'orientation du schéma de médication parce que les arabophones n'arrivaient pas à comprendre le schéma qui se lisait de gauche à droite, nous l'avons donc mis de façon verticale ", précise-t-elle.Tout ce processus a pris environ une année et, aujourd'hui, les responsables du projet attendent la confirmation des subsides de la Commission communautaire commune pour pouvoir finaliser son développement et le diffuser gratuitement à tous les pharmaciens bruxellois. " Ensuite, les autres pharmaciens pourront l'obtenir au prix coûtant et il sera normalement téléchargeable en PDF sur le site de l'UPB ".Sophie Etienne est très heureuse du succès rencontré par le projet de la pharmacie Square Levie : " C'est un outil créé pour les pharmaciens par les pharmaciens ", insistet-elle. " Nous venons de recevoir le Prix CDSP (Centre de Développement Scientifique des Pharmaciens) de l'APB lors du salon Pharmcare*, cela nous réconforte dans l'idée que c'est un projet utile. Pendant la phase de test, plein d'idées ont émergé pour aller plus loin, comme des étiquettes à placer sur les boîtes de médicaments... Peut-être que dans le futur nous ferons une suite, mais pour l'instant ce n'est pas d'actualité ".