Le manque d'adhésion aux médicaments est un problème sous-estimé et souvent attribué exclusivement aux patients, alors qu'il implique aussi les médecins et le système de santé. Les bases de données générées par les dispositifs connectés permettent d'analyser le comportement de prise des médicaments et d'en discuter avec les patients.
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En 2003, l'Organisation Mondiale de la Santé a défini les cinq dimensions de la non-observance: elle peut être liée à des facteurs socio-économiques, à l'état du patient, à son traitement, à sa maladie et au système de soins de santé: "l'augmentation de l'efficacité des interventions en matière d'adhésion peut avoir un impact bien plus important sur la santé de la population que toute amélioration des traitements médicaux spécifiques". (1) Parmi les patients atteints de maladies chroniques, environ 50% ne prennent pas leurs médicaments tels qu'ils ont été prescrits. Pour l'OMS, "l'adhésion au traitement ne relève pas exclusivement de la responsabilité du patient. Le comportement de prise des médicaments est complexe et implique le patient, le médecin et le système de soins". Cette mauvaise adhésion aux médicaments entraîne une augmentation de la morbidité et de la mortalité. "On estime son coût à environ 8% du budget des soins de santé des pays", a précisé Bernard Vrijens, professeur de biostatistiques à l'ULiège et PDG d'Aardex (société spécialisée dans la compliance), lors d'une conférence donnée dans le cadre du salon Pharmanology, le 7 mai à Bruxelles. "L'adhérence thérapeutique est définie comme le processus dynamique par lequel le patient prend son traitement, il compte 3 phases: l'initiation, l'implémentation et la persistance". Selon la littérature, 15-20% des adultes souffrant d'une pathologie chronique ne vont pas chercher les médicaments prescrits sur leur première ordonnance. Ensuite, certains patients oublient une dose, en prennent une de plus, partent en vacances et oublient leur traitement... "Il y a beaucoup de déviations par rapport au régime théorique et 50% arrêtent dans les 12 mois", note-t-il. Pour remédier au manque d'adhérence, il faut d'abord la mesurer. "Or, les systèmes de mesure ne sont pas fiables, poursuit-il. Le self-report est une méthode biaisée parce que le patient veut faire plaisir à son médecin ou parce qu'il ne se rend pas compte qu'il est non compilant. Les mesures comme l'INR pour la warfarine sont très intrusives, compliquées et elles donnent une mesure à un temps donné. D'autres méthodes sont sous-utilisées comme la prescription électronique: les bases de données sur les achats en pharmacie permettent de repérer assez vite si un patient continue son traitement. Enfin, il y a la mesure précise au jour le jour possible grâce aux technologies digitales. Ceci dit, il ne faut pas sous-estimer l'usage des bases de données de refill qui peuvent être d'une utilité énorme", insiste Bernard Vrijens. Classiquement, on considère comme observant un patient atteignant un taux de 80% de prise de la dose prescrite. Cependant, cette limite n'est pas adaptée à tous les types de traitements et des études ont démontré que derrière ce pourcentage, il peut y avoir des comportements fort différents aux conséquences cliniques différentes d'un patient à l'autre, en fonction des doses omises. "Si on connaît le comportement de prise de médicaments d'un patient, on peut l'analyser avec lui, essayer de comprendre la situation et y remédier", explique-t-il. Bernard Vrijens donne l'exemple des dispositifs connectés qui mesurent l'observance, tel qu'un inhalateur connecté pour l'asthme: "Ce type d'appareil génère une masse de données qui permet de comprendre le comportement de prise de médicament du patient, de renforcer les comportements positifs et de référer vers un professionnel de santé si on détecte un problème de compliance". Selon une étude financée par l'UE (2), montrer aux patients leurs erreurs relatives aux doses prises ou non est la façon la plus efficace de les responsabiliser et d'améliorer la compliance: "Une discussion entre le pharmacien et le patient sur base des données d'adhérence au traitement, fiables et détaillées, permet d'améliorer la compliance de 20 à 50%", résume-t-il. Selon le rapport de l'OECD, sorti en 2018 (3), investir dans l'observance thérapeutique peut améliorer l'efficience des soins de santé. Il pointe 4 étapes: - reconnaître que la non-observance des médicaments nuit à la santé et augmente les coûts des soins de santé, - mesurer systématiquement l'observance (grâce aux bases des achats en pharmacie) dans chaque pays pour pouvoir faire des comparaisons, - encourager les professionnels de santé en les rémunérant pour la qualité des résultats obtenus par les patients, - orienter et soutenir: la non-observance est un problème multidisciplinaire qui implique le patient, le clinicien prescripteur et le pharmacien, qui doivent être soutenus par d'autres acteurs du système de santé (prescription optimale, communication patient-clinicien, renouvellement des ordonnances, professionnels de santé compétents en matière de gestion de l'observance (prise de décision partagée, compétences socioculturelles...), personnalisation des plans de médication, emballages simplifiés...). "L'adhérence est la clé du succès thérapeutique. On a des thérapies hyper efficaces mais elles ne seront efficientes que si on prend en compte le degré d'observance et si les gens prennent conscience qu'il s'agit d'un problème majeur", conclut Bernard Vrijens.