Telle était la question au coeur de l'exposé sur la sécurité des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) donné par la Dr Catherine Devillers lors du dernier symposium du CBIP.
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" Les IPP ont une série d'indications prouvées, je veux juste attirer votre attention sur les durées de traitement qui sont conseillées dans les guidelines: 4 à 8 semaines maximum. C'est déjà un sujet d'étonnement puisqu'on a tous dans nos pratiques des patients qui prennent des IPP pendant des mois voire des années alors qu'on peut supposer que l'indication n'est plus présente", souligne la Dr Catherine Devillers (CBIP) en introduction de sa présentation basée sur un article paru dans Folia pharmacoterapeutica (mai 2022) et mise à jour à la lumière des dernières publications. Selon les chiffres de consommation des IPP (pantoprazole et oméprazole) de l'Inami, 2 millions de patients ont pris ces médicaments en Belgique en 2020, soit un Belge sur 6, constate-t-elle: "Est-ce qu'autant de personnes présentent une pathologie gastrique ou s'agit-il de personnes qui ont commencé les IPP et qui continuent à en prendre? On a déjà un élément de réponse par rapport au profil de sécurité à court terme avec ce fameux effet rebond: des études faites chez des volontaires sains ont montré qu'après 2 à 4 semaines de traitement par IPP, 20 à 45% présentaient un rebond d'acidité à l'arrêt du traitement, parfois pendant plusieurs semaines". "Il faut vraiment informer les patients sur cet effet rebond, insiste-t-elle, parce qu'il peut affecter jusqu'à la moitié des patients et ceci, après une durée d'utilisation très courte voire inférieure à ce qui est conseillé dans les guidelines". Les études randomisées contrôlées (RCT), conçues pour démontrer un lien de cause à effet, sont très coûteuses. "On a donc généralement des données à court terme et pour une population insuffisante et hautement sélectionnée, avec parfois un nombre d'évènements insuffisant pour pouvoir trouver un effet indésirable peu fréquent. Dès lors, on se rabat sur les études observationnelles qui ont l'avantage d'être de plus longue durée, avec un nombre d'événements qui peut être suffisant. Le problème c'est qu'elles ne permettent pas de conclure de lien de cause à effet. Sauf si plusieurs études observationnelles vont dans le même sens et qu'on a un mécanisme d'action qui semble plausible, on peut conclure qu'il y a probablement un lien de cause à effet entre le médicament et l'effet indésirable constaté", note la Dr Devillers. Elle avance une autre limite: des données récentes parlent d'un lien entre la prise d'IPP et la survenue d'un diabète. "On sait que les gens âgés et en surpoids sont à risque de diabète et de reflux, alors, est-ce que ce lien constaté entre IPP et diabète est bien dû à l'IPP ou aux conditions de départs du patient, à ses facteurs de risque?" "En 2016, poursuit-elle, le CBIP avait déjà fait le point sur les IPP, plusieurs études observationnelles avaient montré un lien entre IPP et différentes pathologies (maladie rénale, démence, infections digestives, pneumonie, ostéoporose, malabsorption). Ces données ont été globalement confirmées par des données observationnelles en 2022, c'est plus mitigé pour les études RCT. On a quand même quelques signaux qui semblent se répéter et être assez clairs: c'est le lien IPP et pathologies rénales, avec les infections digestives et avec les fractures et ostéoporose". "Il y a une série de nouveaux signaux, via les études observationnelles (donc non démontrés mais à garder en tête), pour les décès, les maladies cardiovasculaires, le diabète, l'asthme chez l'enfant et les cancers gastriques". "On ne remet pas en question l'efficacité des IPP, ils sont très efficaces dans une série d'indications et ce sont des médicaments globalement très sûrs. Le problème c'est qu'on a des signaux pour des effets indésirables probablement rares, mais étant donné que ces IPP sont largement diffusés à l'échelle de la population et parfois pendant une très longue période, même un effet indésirable qui est censé être marginal peut devenir plus présent et relevant au niveau de la population générale", constate Catherine Devillers. "Ceci ne veut pas dire qu'il ne faut pas prescrire d'IPP, mais il est important de bien poser l'indication, de prévoir dès le départ avec le patient une date d'arrêt, et de l'informer de cet effet rebond. Différentes stratégies sont possibles: on peut faire un schéma dégressif, un relai par antiacide, proposer une prise à la demande en cas de symptôme", conclut-elle en regrettant le retrait du marché des anti-H2 (ranitidine) suite à des problèmes d'impuretés: "Ça manque dans l'arsenal thérapeutique, ça permet un entre-deux entre les anti-gastriques et les IPP". Enfin, elle a rappelé l'existence des modules d'elearning sur les IPP à suivre sur le site du CBIP.