Si, il y a quelques années, certains producteurs de compléments alimentaires tentaient de les faire reconnaître comme médicaments, gages de qualité et de sécurité, aujourd'hui, on observe plutôt la tendance inverse.
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"Plus de 50.000 compléments alimentaires sont notifiés dans notre pays, mais tous ne sont pas commercialisés, précise le Pr Michel Frederich (pharmacognosie, ULiège). La première chose est donc de vérifier si le complément est bien notifié". Après l'étape de la notification vient celle plus délicate de la commercialisation, un sujet épineux s'il en est: " C'est la question de leur vente sous label pharmaceutique ou parapharmaceutique ou rien du tout. Autant il y a quelques années, on voyait une tentative de se faire reconnaître comme médicament, symbole de qualité et efficacité/contrôle, autant aujourd'hui, on voit l'inverse: ne surtout pas être reconnu comme médicament afin de prétendre à des allégations thérapeutiques sans tomber sous la loi sur les médicaments, mais permettant une diffusion par plus de canaux de distribution commerciale et même une apparente sécurité! ", explique le Pr Emmanuel Hermans, doyen de la faculté de Pharmacie et des Sciences biomédicales de l'UCLouvain. (Voir page 24) Une équipe toulousaine s'est ainsi intéressée à la porosité des frontières entre le statut de médicaments et d'autres produits moins réglementés qui permet à un même produit d'être commercialisé successivement sous plusieurs statuts. En analysant les spécialités retirées du marché (AMM archivée ou abrogée) en France entre janvier 2010 et septembre 2019, ils en ont identifié 206 considérées "à potentiel de changement de statut". Parmi elles, ces chercheurs ont détecté 101 changements de statut concernant majoritairement des médicaments à base de vitamines ou plantes commercialisés secondairement comme compléments alimentaires, six passages vers le statut de produits cosmétiques et cinq vers celui de dispositif médical. "La porosité des frontières entre les différents statuts des produits de santé facilite leur changement de statut. Or, les produits de santé autres que le médicament peuvent aussi entraîner des effets indésirables, parfois graves, en lien notamment avec un manque d'information ou un mésusage, mais pouvant également survenir lors d'une utilisation conforme avec les recommandations d'usage", préviennent-ils. "L'augmentation des passages du 'médicament' aux produits plus faiblement réglementés, la banalisation de leur utilisation par le public et leur consommation croissante en font une question fondamentale de pharmacologie sociale, nécessitant la sensibilisation des consommateurs, mais aussi des professionnels de santé. En effet, on assiste actuellement à un courant inverse et paradoxal: la conception du public du 'sacrement médicament', rassurant et garantissant une sécurité d'utilisation il y a quelques années, change pour laisser progressivement la place à des produits moins réglementés et contrôlés, mais néanmoins plus rassurants dans l'opinion publique", concluent les auteurs.