Telle est la question que nous avons posée à Yves Coppieters, le tout jeune ministre de la Santé en Wallonie et Fédération Wallonie-Bruxelles. Également en charge de l'Environnement, des Solidarités, de l'Économie sociale, de l'Égalité des chances et des Droits des femmes, il entend bien lier toutes ces dimensions pour envisager des politiques transversales par rapport à la santé.
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Le Pharmacien: Comment allez-vous après ces quatre premiers mois d'exercice? Yves Coppieters: Je vais très bien merci! Je suis avant tout très honoré d'occuper cette fonction. La cohérence des compétences qui me sont confiées rend les ambitions très intéressantes. J'évolue pour l'heure au sein d'un gouvernement apaisé et équilibré qui travaille en intelligence collective, ce qui me motive. Et j'ai la chance d'avoir une équipe certes réduite, mais formidable et très proactive. Notre cabinet est, en effet, le plus petit en nombre de personnes, malgré notre double casquette. C'est un choix de changement de paradigme dans la gouvernance que nous assumons. Donc tout va bien. Abordons d'abord quelques questions relatives aux grands défis auxquels la société doit faire face, notamment dans le secteur des soins de santé, et les évolutions qu'ils imposent. Quelles sont les perspectives qui pourraient encourager les pharmaciens à embrasser ces évolutions?Le renforcement de la 1ère ligne de soins est, à mes yeux, un axe de revalorisation du rôle des pharmaciens d'officine. Ils sont des acteurs majeurs en termes de littératie en santé, de communication, de promotion de la santé et de prévention. Leur valeur ajoutée lors de la pandémie de covid-19 a été manifeste et je les remercie encore d'avoir tant contribué à la vaccination de la population, à l'enregistrement des données et l'information des citoyens. Mais leur rôle en prévention primaire peut encore aller plus loin. La prévention est, aujourd'hui, sous-utilisée dans notre pays et au vu de la pénurie actuelle des professionnels de santé, il est temps de penser autrement en augmentant notamment certains actes en officine. Comment faire pour améliorer le rôle de chacun en 1ère ligne et dépasser le sentiment de concurrence entre les différents acteurs?La philosophie est d'évoluer vers la déterritorialisation des soins et un meilleur partage des responsabilités. C'est ce que nous souhaitons faire avec Proxisanté en lançant des projets pilotes de soins intégrés dans dix territoires. L'idée est de laisser les acteurs de la 1ère ligne s'organiser entre eux, dans chaque territoire, pour mieux coordonner les soins primaires dans le cadre de programmes spécifiques (lutte contre l'obésité chez l'enfant, prise en charge de personnes âgées, de personnes avec des maladies dégénératives, etc.). Tous les acteurs vont donc devoir se parler et collaborer en imaginant de nouvelles dynamiques. Ce qui, nous l'espérons, pourrait aider à instituer de nouveaux schémas. Aujourd'hui, en santé publique, il faut sortir du système conservateur, innover tout en maintenant les valeurs d'une politique de soins libéraux mais en faisant évoluer les pratiques (déléguer des tâches, créer de nouveaux métiers, faire évoluer les métiers existants, etc.). Il faut évoluer vers des prises en charge pluridisciplinaires et un financement au forfait, tant au niveau hospitalier qu'au niveau de la 1ère ligne de soins. C'est à mon sens un des moyens de maintenir un équilibre budgétaire et d'obliger les prestataires à pratiquer une prise en charge plus globale. Quelle place accorder à l'e-santé et au numérique en tant qu'outils de communication transversale entre les différentes lignes de soins? Le rôle de l'e-santé et du numérique est majeur! Il est malheureusement insuffisant en Région wallonne. Le Réseau santé wallon accuse un certain retard et souffre de gros problèmes d'interopérabilité! Il est donc urgent de faire des choix en termes d'opérateurs, de logiciels et d'applications. L'Aviq coordonne d'ailleurs tout cela. Nous devons garantir à l'avenir un meilleur échange de données entre tous les acteurs de la santé, y compris les pharmaciens, c'est indispensable pour améliorer l'efficacité des soins. Et dans son colloque singulier avec les patients, il est essentiel que le pharmacien puisse avoir accès à toute une série d'informations clés. Comment faire évoluer le système de rémunération des pharmaciens? Idéalement, il faudrait repenser le modèle de rémunération des pharmaciens, au-delà de la simple vente de médicaments et des produits de soins pour valoriser les actes liés à la prévention, à la communication et à l'éducation à la santé. Le plus compliqué est de trouver le financement qui relève du fédéral. Et pour l'heure, comme chacun sait, l'optique des accords du gouvernement est polarisée sur les économies à réaliser à hauteur de 40 milliards d'euros... Quelles actions entreprendre pour soutenir les pharmacies et préserver leur rôle de structure de proximité? En officine, on pourrait très bien élargir le spectre des vaccinations (vaccination des enfants, etc.), renforcer le rôle de la prévention quaternaire (surmédicalisation, interactions médicamenteuses, etc.) en permettant aux pharmaciens de collaborer davantage en dehors des officines (maisons de repos, collectivités, etc.), mettre plus en avant le dépistage précoce et la prévention à l'instar de ce qui se fait déjà pour les kits de dépistage du cancer colorectal. Il ne faut jamais oublier que, pour la population, la pharmacie est la porte d'entrée dans le système de soins. Il suffit de pousser la porte pour avoir accès à un professionnel de la santé. Ce service de proximité est précieux et pourrait voir ses compétences élargies dans le futur en devenant un véritable relais de la santé positive, un concept qui allie plusieurs dimensions - bien-être, pathologie, prévention, qualité de vie, sens, etc. et qui permet de questionner ces indicateurs de santé pour évaluer le besoin d'accompagnement des plus vulnérables. Cela pourrait avoir du sens dans le prochain plan de lutte contre la pauvreté que nous mettons actuellement en place pour 2025 et 2026. Cela fait écho à la transversalité de mes compétences dont nous parlions en préambule. Un message particulier à adresser aux pharmaciens?Les pharmaciens d'officine sont des acteurs majeurs de la 1ère ligne auxquels il faut donner plus de responsabilités à l'avenir en termes d'éducation, de promotion de la santé, de prévention, etc. Ils doivent être intégrés aux pratiques de réseau pour accompagner l'évolution des métiers de la 1ère ligne et assurer une meilleure répartition des responsabilités. L'élargissement des actes en officine n'est qu'une question de temps et de financement. La santé publique est un chantier complexe et emblématique, dans lequel le rôle des pharmaciens se redéfinit sans cesse, compte tenu des enjeux croissants. Préparez-vous donc à jouer un plus grand rôle de premier plan et à assumer toujours plus de responsabilités.