Pour bénéficier de la fiscalité avantageuse des donations, mais sans se retrouver démuni, la formule de la donation avec réserve d'usufruit s'impose. D'autant qu'elle permet aux donateurs de se protéger très efficacement.
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Naguère aussi élevés que les droits de succession, les droits de donation furent spectaculairement abaissés en 2004. But : faire circuler l'argent des patrimoines familiaux pour soutenir l'économie. Celle-ci bénéficia-t-elle vraiment du coup de fouet visé? Au moins en partie, semble-t-il. Ce qui est certain, c'est que les Belges comprirent tout l'intérêt de la mesure, d'autant qu'après avoir visé les seuls biens mobiliers, elle s'étendit à l'immobilier, mais avec des taux moins avantageux. C'est qu'avec des droits s'élevant à 3,3% seulement (en Wallonie) ou 3% (à Bruxelles et en Flandre) sur les valeurs mobilières, et ceci en ligne directe, ainsi qu'entre époux et cohabitants légaux, l'économie est substantielle par rapport à l'impôt sur la mort subite. Un don de 250.000 euros sera ainsi ponctionné de 8.250 ou 7.500 euros de droits de donation, contre respectivement 26.625 et 25.750 euros en cas de succession!Il est évidemment possible de payer moins encore, c'est-à-dire zéro, par le biais d'un don manuel. Si la donation enregistrée auprès d'un notaire, et donc grevée de droits, est néanmoins tellement pratiquée, c'est qu'elle permet d'éviter les trois ans fatidiques endéans lesquels un décès entraîne le rapport de la donation à la succession. Plus important encore : elle permet au donateur de l'assortir d'une réserve d'usufruit pouvant présenter d'énormes garanties. Cette formule correspond donc à "transmettre sans se dépouiller", suivant l'expression consacrée. Pas étonnant que près de 90 % des donations entre parents et enfants le sont avec réserve d'usufruit.Le principe de base de la donation avec réserve d'usufruit est simple : on cède la nue-propriété d'un immeuble ou d'un portefeuille de titres et on se réserve les fruits (revenus) générés par ce patrimoine : loyers, coupons, dividendes, etc. On relève au passage que si des parents partent en maison de repos en quittant la maison donnée en nue-propriété à leurs enfants, ils peuvent dès lors la louer et en percevoir le loyer. Deux aspects de la donation sont toutefois assez méconnus. D'une part, le fait que le donateur garde largement la main sur son patrimoine, à condition de prévoir une " clause d'universalité " dans l'acte : il peut continuer à gérer son portefeuille d'actions, de fonds ou d'obligations, en vendant... pour racheter. Pas question évidemment de vendre et d'empocher la somme : donner, c'est donner ; reprendre, c'est voler, rappelle l'adage populaire. L'argent dégagé d'une vente ne peut de toute manière être versé que sur un compte ouvert à cette fin et non sur le compte du donateur. L'institution financière réalisant les transactions doit du reste en avertir les donataires, soit le plus souvent les enfants devenus nus-propriétaires de ces titres.L'autre élément souvent mal connu, ce sont les diverses clauses protectrices dont on peut assortir une réserve d'usufruit. Et si l'action principale du portefeuille était privée de dividende? Le donateur peut prévoir une roue de secours, à savoir un revenu minimal qu'il pourra exiger en cas de besoin. Il va de soi que le complément éventuel sera alors puisé dans le portefeuille et non dans la poche des donataires. Toujours parce que donner, c'est donner... La conséquence d'une donation ne saurait en effet être l'appauvrissement des nus-propriétaires ! L'acte de donation peut également prévoir une charge d'entretien, pour subvenir aux besoins de l'usufruitier en cas de gros problème.Autre aspect méconnu : les complications possibles dans le cas d'une donation immobilière. Ainsi presque tous les frais, même de grosse réparation, restent-ils à charge de l'usufruitier, avertit un notaire : le régime n'est absolument pas le même que celui du bail locatif. Une nouvelle loi aujourd'hui sur les rails précisera les choses... en principe en automne 2021.On ne saurait surtout passer sous silence le véritable piège dans lequel les donateurs peuvent tomber en cas de revente de l'immeuble. C'est peut-être la meilleure solution pour un bien nécessitant une rénovation lourde, mais à condition d'en acheter un autre, ou d'investir la somme en titres, pour que les usufruitiers continuent de percevoir un revenu. Problème : les parents donateurs ne peuvent pas imposer cette solution. Leurs enfants donataires peuvent en effet exiger le partage de la somme ainsi obtenue. Or, la part des parents sera réduite à la valeur de l'usufruit, laquelle dépend aussi de l'âge. S'ils sont âgés de 80ans par exemple, ils ne percevront qu'un dixième environ du total! Dans ce cas précis, la réserve d'usufruit n'aura donc pas empêché les donateurs d'être dépouillés, sauf à prévoir une " clause de choix ". En matière immobilière tout particulièrement, une donation doit être étudiée avec beaucoup d'attention.La quotité disponible est passée à la moitié du patrimoine : tel fut l'élément le plus médiatisé de la nouvelle législation en matière successorale de l'été 2018, entrée en vigueur le 1er septembre. Dorénavant, quiconque peut disposer librement de la moitié de ses avoirs dans sa succession, alors que cette part pouvait auparavant n'en atteindre que le quart. La nouvelle loi offre donc beaucoup plus de liberté, a-t-on clamé. De ce point de vue, oui, mais ce n'est pas vrai dans tous les domaines ! En pratique, on en a parfois moins en matière de donations. Rappelons que celles-ci sont à présent automatiquement indexées. C'est logique et très juste: recevoir 100.000 euros aujourd'hui, ce n'est pas la même chose qu'avoir reçu 100.000 euros voilà 20ans! En vérité, la plupart des donations étaient déjà indexées, mais il pouvait subsister des distractions menant à des situations injustes, ce qui n'est donc plus possible. Fort bien, mais on ne peut plus déroger à cette indexation, même pour la bonne cause, souligne un notaire. Des parents faisant donation d'un bien immobilier à un enfant et d'actions à l'autre, pouvaient naguère prévoir, ou bien des limites à l'indexation, ou bien un mécanisme correcteur en cas de krach survenant en Bourse ou sur le marché immobilier. Si l'immeuble ou les titres ont brutalement perdu de leur valeur à la veille du décès des parents, malheur à leur détenteur : il sera supposé avoir reçu autant que l'autre enfant alors qu'il vient de s'appauvrir!Un banquier avance un autre cas. Un couple entretient d'excellentes relations avec deux de ses enfants, mais pas du tout avec le troisième. Les parents ont dès lors favorisé les deux premiers en effectuant déjà plusieurs donations. Ils se réjouissent d'apprendre que leur quotité disponible atteint aujourd'hui la moitié de leur patrimoine (comme ils ont trois enfants, elle n'était naguère que du quart): ils pourront donc favoriser ces chers enfants davantage, la part réservataire du troisième s'amenuisant. En réalité, ce ne sera pas nécessairement le cas, à cause de l'indexation! La valeur des donations déjà faites gonflera en effet au fil du temps et, si les parents vivent encore longtemps et que leur patrimoine ne s'apprécie guère, il se pourrait que les donations faites naguère finissent, au jour de leur décès, par représenter le maximum de ce dont ils peuvent disposer. Voire un peu plus encore, auquel cas les deux premiers enfants devraient "rembourser" le troisième!Un troisième cas est avancé par un notaire: " Un de vos enfants a des difficultés dans la vie. Vous lui donnez un logement, mais vous vous en réservez l'usufruit, car vous craignez qu'il le vende ou s'en fasse saisir. Vous donnez la même chose à vos autres enfants, mais sans réserve d'usufruit. Naguère, vous pouviez stipuler au premier qu'il ne devait pas de compte aux autres enfants. Aujourd'hui, ce n'est plus possible: avec une réserve d'usufruit, cet enfant doit rapporter la valeur au jour du décès. Par contre, les autres enfants doivent rapporter la valeur indexée. Vous ne pouvez donc plus, dans votre testament, affirmer que vous ne voulez pas faire de distinction entre vos enfants. " Pour des matières aussi importantes, il n'est clairement pas question de se passer des conseils du notaire, outre éventuellement le spécialiste de sa banque privée.