En s'inspirant du monde végétal, des chercheurs de l'UCLouvain ont découvert comment le muscle cardiaque s'hypertrophie et ont mis en évidence l'action d'un extrait de Brahmi une plante utilisée en médecine ayurvédique, pour prévenir cette hypertrophie.
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Le stress oxydatif déclenche l'hypertrophie cardiaque mais pourquoi les cellules cardiaques capturent-elles le peroxyde d'hydrogène extracellulaire pour allumer une signalisation oxydative intracellulaire? Pour répondre à cette question, la Pr Virginie Montiel (Cliniques universitaires Saint-Luc), chercheuse à l'Institut de recherche expérimentale et clinique (IREC), et le Pr Jean-Luc Balligand, président de l'IREC à l'UCLouvain, se sont inspirés du monde végétal. " On sait que le peroxyde d'hydrogène diffuse très mal à travers les membranes cellulaires. Or, dans le monde végétal, on sait depuis longtemps qu'il existe des protéines de la famille des aquaporines qui sont capables de transporter l'eau et ce peroxyde d'hydrogène dans des circonstances où une plante subit un stress comme une sécheresse par exemple ", précise Jean-Luc Balligand. Chez les mammifères aussi on retrouve une famille d'aquaporines. Cette équipe de l'IREC a découvert que l'aquaporine-1 est exprimée dans les cellules cardiaques du coeur des rongeurs et chez l'être humain. " Cette aquaporine-1 régule la signalisation oxydative dans le myocyte, qui est responsable de la réaction hypertrophique menant à l'insuffisance cardiaque. Voilà comment les plantes nous ont inspirés: par cette coïncidence entre la capacité d'aquaporines des plantes à transporter le peroxyde d'hydrogène et notre démonstration qu'un équivalent chez les mammifères, l'aquaporine-1, était capable de faire la même chose ". Le monde des plantes ne laisse pas d'inspirer les chercheurs et les met sur la piste de la Bacopa monnieri ou " hysope d'eau " ou encore en sanscrit " Brahmi ", une plante grasse, utilisée depuis des siècles en médecine indienne ayurvédique. " C'est une autre coïncidence, ajoute-t-il: parmi les bloqueurs spécifiques de l'aquaporine-1, il y a un composé qui est un extrait de cette Brahmi, un bacopaside. C'est notre collaboratrice en Australie, Andrea Yool, qui a démontré que le bacopaside pur et l'extrait sec de Brahmi bloquaient efficacement l'aquaporine-1 ". L'équipe a ensuite démontré qu'en traitant des cellules cardiaques de rongeurs et humaines avec cet extrait de Brahmi, on bloque non seulement le passage de peroxyde d'hydrogène, mais on empêche aussi les cellules cardiaques de s'hypertrophier. Restait alors à démontrer cet effet in vivo. " Nous avons additionné la nourriture de souris avec des extraits secs standardisés de Brahmi et nous avons soumis les souris et leurs contrôles à un stress cardiaque. On a observé que celles qui ont mangé l'extrait de Brahmi ont développé beaucoup moins d'hypertrophie et étaient donc protégées vis-à-vis du remodelage hypertrophique du coeur ". L'étape suivante consiste à tester cet effet protecteur chez l'homme. " L'avantage de l'extrait sec de Brahmi (nom de code CDRI08) est qu'il est déjà enregistré auprès de l'agence du médicament dans différents pays dont l'Australie. Il est recommandé à certaines doses testées dans des études randomisées contrôlées pour la protection vis-à-vis de certaines maladies neurologiques. Dans la médecine ayurvédique traditionnelle, l'extrait de Brahmi est utilisé pour calmer les syndromes d'anxiété, pour améliorer la mémoire et les performances intellectuelles ", indique le Pr Balligand. " On n'a jamais découvert comment fonctionne ce médicament au niveau neurologique et personne n'avait jamais fait le lien avec l'aquaporine cardiaque. Nous proposons d'utiliser cet extrait, aux doses recommandées dans les indications neurologiques, pour vérifier s'il protège du développement de l'hypertrophie cardiaque et de l'insuffisance cardiaque. C'est ce qu'on appelle une stratégie de repositionnement d'un médicament ". L'équipe a déjà testé cet extrait CDRI08 chez des volontaires et a vu qu'il empêchait bien le stress oxydatif en bloquant cette protéine. " L'aquaporine-1 est aussi très abondante dans les globules rouges qui sont beaucoup plus facilement accessibles que les cellules cardiaques. En mesurant le taux sanguin de peroxyde d'hydrogène, on a observé qu'un traitement aux doses habituellement recommandées diminue au moins de moitié le passage de peroxyde d'hydrogène dans les globules rouges des patients traités ", explique-t-il. Est-ce la même chose au niveau du coeur? Seule une étude prospective randomisée contrôlée chez des patients atteints d'hypertrophie cardiaque permettra de le confirmer. " Nous avons obtenu un financement de la fondation Roi Baudouin pour lancer cette étude chez les patients cardiaques. Nous attendons l'autorisation de l'AFMPS et du comité d'éthique et ensuite, nous lancerons le recrutement de 250 patients ". Dans un premier temps, il s'agira d'une étude pilote monocentrique à Saint-Luc. Si elle est positive, elle pourrait ouvrir la porte au développement de molécules plus puissantes et plus sélectives dérivées du bacopaside, un des principes actifs du CDRI08. Un projet sur ce sujet devrait être lancé avec Welbio. Un autre argument plaide en faveur de cette hypothèse: " Quand on veut vérifier l'importance physiopathologique d'une protéine, on cherche l'existence de polymorphisme des gènes qui codent pour cette protéine. Avec nos collègues néphrologues, on a identifié un polymorphisme du gène d'aquaporine-1 dont l'allèle muté est assez fréquent dans la population européenne (jusqu'à 30%). La présence de ce polymorphisme dans des populations de patients porteurs d'hypertrophie cardiaque est associée à une moindre hypertrophie par rapport à ceux qui ont le gène sauvage. En d'autres termes, un polymorphisme qui code pour une diminution de la fonction de cette aquaporine-1 est protecteur vis-à-vis de l'hypertrophie. Ceci renforce notre paradigme qui dit qu'en bloquant l'aquaporine-1, on a de bonnes chances de protéger les gens contre l'hypertrophie cardiaque ", conclut le Pr Balligand.